Et si votre public pouvait décider lui-même du prix d’un billet de théâtre ? C’est à partir de cette question que le Kaaitheater a lancé en 2021 une expérience audacieuse de billetterie : Pay What You Can (PWYC). Depuis, les spectateurs peuvent choisir parmi une grille de tarifs pour chaque représentation, avec un prix suggéré comme référence — mais sans obligation. Résultat : moins de barrières, plus d’autonomie et un public élargi.
Depuis septembre 2022, Pay What You Can n’est plus un test temporaire, mais un pilier de la politique tarifaire du Kaaitheater. Le système n’est pas une initiative isolée, mais la traduction directe de leur mission plus profonde : « How to Be Many ». Sous cette devise, le théâtre souhaite ouvrir un espace à une grande diversité de spectateurs, d’artistes, d’histoires et de points de vue.
L’accessibilité, ici, ne consiste pas à offrir une réduction à certains, mais à élargir l’expérience. En offrant une liberté de choix financière, le Kaaitheater invite non seulement à découvrir l’art — mais aussi à la solidarité, à la générosité et à la rencontre.
De la réduction à la liberté de choix
Le Kaaitheater a été fondé en 1977 en tant que festival et est devenu un lieu permanent pour les arts de la scène contemporains en 1987. Aujourd’hui, c’est l’un des centres artistiques les plus importants de Bruxelles, mettant l’accent sur la danse, la performance, le débat et les thèmes socio-écologiques.
En raison de travaux de rénovation dans le bâtiment historique de la place Sainctelette, le théâtre est temporairement fermé depuis 2022. Entre-temps, Kaaitheater coproduit avec des maisons partenaires réparties à Bruxelles et dans le Vlaamse Rand, ce qui rend la création de publics et la billetterie d’autant plus complexes. Paradoxalement, c’est précisément durant cette période que la politique tarifaire a été complètement repensée.
Le système Pay What You Can du Kaaitheater remplace les réductions classiques (par exemple, les tarifs étudiants ou seniors) par une tarification à plusieurs niveaux. Lors de l’achat, les spectateurs peuvent choisir entre cinq tarifs — du plus bas (par exemple 7 € ou 10 €) à un montant supérieur à l’ancien prix standard (25 € ou 35 €). Chaque billet indique un prix suggéré, mais le choix final revient au spectateur.
Qui sommes-nous pour décider de la situation financière d’un visiteur ? Les catégories classiques comme « +65 ans » ou « étudiant » sont devenues obsolètes.
- Valérie Vernime
--- Coordinateur commercial, Kaaitheater
Le modèle encourage les visiteurs à adapter leur contribution à leur propre situation, sans obligation, sans preuve et sans obstacles. Parallèlement, un système précis fonctionne en coulisse, où les prix sont ajustés aux coûts de production, à la capacité de la salle et au profil artistique. Un grand spectacle international dans une grande salle n’a donc pas les mêmes tarifs qu’une petite création solo ou qu’une conférence.
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De l'expérience à la politique
Au cours de la première saison, le système a été testé au moyen d’une enquête liée à près de 10 000 réservations de billets. Le Kaaitheater y a évalué la motivation, l’expérience et la démographie. Les résultats ont été remarquables :
Quelques visiteurs l’ont signalé :
« Je suis célibataire et maintenant je peux même venir avec mes enfants. Merci. »
« J’ai l’impression que Kaai reconnaît réellement que nous vivons dans une société inégalitaire. »
« J’adore vraiment ça. Aujourd’hui, le seuil d’achat de billets pour des choses dont je ne suis pas sûr à 100 % a été abaissé. »
« Cela me fait penser à l’argent d’une manière complètement différente. »
La réponse du public a été extrêmement positive, à la fois par le biais de l’enquête et au comptoir. En septembre 2022, le système a donc été officiellement introduit en tant que politique, et non plus en tant qu’expérience temporaire.
Équilibre commercial
L’analyse interne a montré que le système est resté financièrement stable. Les spectacles mettant en vedette des noms ou des compagnies connus étaient plus susceptibles d’atteindre le prix recommandé, voire davantage, tandis que les œuvres plus récentes ou moins connues ont généré en moyenne des contributions plus faibles. L’analyse interne montre que le système atteint généralement la moyenne prévue par siège payant.
Dans le même temps, le Kaaitheater a limité le nombre de billets gratuits et a supprimé les remises classiques. En conséquence, le PWYC est devenu la seule passerelle, et donc aussi le seul instrument tarifaire. Plus de plans d’abonnement, mais un système accessible à tous, à tout moment.
L'impact sur l'engagement du public
Un effet secondaire remarquable : les gens venaient plus souvent en groupe. Les visiteurs ont indiqué que le système leur permettait d’amener quelqu’un qui, autrement, serait resté à la maison. En outre, on a remarqué que les gens changeaient de catégorie de prix en fonction de leurs circonstances : un moment, ils payaient un peu plus, la fois suivante un peu moins. Cette flexibilité renforce le sentiment d’autonomie et d’engagement.
Le système a également permis à un plus grand nombre de spectateurs de prendre des risques : noms inconnus, formats expérimentaux, autres lieux. Le seuil pour essayer quelque chose de nouveau est devenu plus bas.
Mais peut-être plus particulièrement : le public est devenu sensiblement plus jeune en peu de temps. Selon Vernimme, cette tendance n’est pas une coïncidence, mais résulte de l’interaction entre la politique tarifaire et la programmation. Un quart des visiteurs de la première enquête étaient nouveaux, et près de la moitié avaient moins de 35 ans.
Un exemple pour les autres
Le Kaaitheater a rapidement reçu des questions d’autres institutions concernant le système. Non seulement de Flandre, où VierNulVier à Gand l’a adopté entre autres, mais aussi de collègues francophones et d’acteurs étrangers. L’intérêt sur le terrain a été vif.
Extrait de l’enquête publique : « Excellente idée ! J’aimerais également voir cela dans d’autres maisons culturelles. »
Dans le même temps, le Kaaitheater n’était pas non plus sans inspiration : le Centre artistique de Battersea à Londres, pionnier du PWYC dans le domaine des arts de la scène, a servi de point de référence important. Depuis un certain temps déjà, des efforts y sont déployés pour promouvoir une accessibilité radicale, notamment grâce à des prix de billets flexibles.
Sur le propre site web Le Kaaitheater partage donc ses résultats et ses points d'apprentissage, en tant que source d'inspiration pour les autres.
Qu'est-ce qui fait son succès ?
Selon le Kaaitheater, six éléments clés font le succès de PWYC :
- La solidarité en pratique : ceux qui peuvent contribuer davantage le font régulièrement
- Un revenu stable par siège
- Une forte croissance de l’audience auprès des jeunes et des nouveaux visiteurs
- Un signe clair d’inclusion en matière de politique et de communication
- Une application de co-présentation flexible avec des maisons partenaires
- Une large reconnaissance, y compris le prix du « projet le plus audacieux » décerné par Visit.Brussels
Non sans défis
Valérie affirme que la transition vers les nouveaux prix ne s’est pas faite automatiquement : « Au début, nous avons dû expliquer le comment et le pourquoi. C’était parfois un peu difficile, surtout pour les spectateurs qui achetaient au guichet. Les gens étaient gênés de choisir un certain tarif. Certains se sentaient obligés de justifier leur choix, alors que cela ne fait que relever le seuil. Heureusement, le système est désormais mieux établi. »
L’introduction d’un prix de référence suggéré s’est également révélée cruciale pour rendre la liberté de choix praticable. Tous ces éléments réunis ont rapidement rendu le système plus familier.
Enfin, certains visiteurs fidèles ont mis du temps à s’habituer à l’abandon de l’ancienne formule d’abonnement. Mais le Kaaitheater a délibérément opté pour des billets séparés à des prix équitables, afin que même ceux qui viennent rarement puissent y avoir accès, sans engagement préalable.
Ce que vous devez encore savoir en tant qu'organisation
Pour ceux qui envisagent d’introduire eux-mêmes le PWYC, le Kaaitheater recommande de ne pas le considérer simplement comme une formule de billetterie, mais comme l’expression d’une mission plus large. Il doit être intégré à l’engagement envers le public, à la communication et à la vision.
Idéalement, une approche PWYC s’inscrit dans une histoire plus large sur l’accessibilité. Il n’est pas crédible de mettre en œuvre une telle approche si elle ne se reflète pas dans le reste du travail avec le public.
-- Valérie Vernime
--- Coordinateur commercial, Kaaitheater
