30CC ouvre sa programmation aux nouveaux publics

Ce n’est pas tous les jours qu’une maison culturelle fait la une avec ses ventes de billets. C’est pourtant ce qui s’est passé lorsque 30CC Leuven a lancé sa nouvelle saison : en à peine trois heures, 34 577 billets ont trouvé preneur, un record absolu.

Une performance impressionnante, mais qui ne s’explique pas uniquement par un marketing ciblé et une billetterie efficace. Le succès de 30CC repose sur un changement plus profond : l’abandon d’une programmation strictement centrée sur l’offre au profit d’un modèle axé sur la rencontre, l’engagement et l’appropriation partagée.

Partir de ceux qui ne sont pas encore là‍

À l’origine de cette approche, Veerle Van Schoelant, coordinatrice artistique de 30CC. Il y a quelques années, elle a introduit un modèle radicalement différent : 30CC ne se contente plus de composer seul son programme, mais crée aussi de nouveaux spectacles et événements en collaboration avec des groupes de la ville et de ses environs. Cela va des jeunes créateurs aux centres communautaires, en passant par les étudiants ou des personnes réunies autour d’un intérêt commun — souvent celles qui n’avaient pas encore franchi les portes d’un centre culturel.

An-Marie Lambrechts, coordinatrice générale, exprime la même philosophie : « Votre programmation est votre engagement public. » Car ceux qui participent à la création de nouveaux projets amènent souvent leurs propres soutiens, et deviennent à leur tour spectateurs des autres grâce à de nouvelles rencontres. C’est ainsi que la portée de la maison grandit de manière organique — même si cela demande beaucoup de temps et d’énergie.

En résumé, 30CC s’assure que le public fasse partie du processus dès le départ. VeelbeLEUVENd et CIRKLABO en sont des exemples frappants. VeelbeLEUVENd réunit de jeunes artistes ayant un lien avec Louvain — parce qu’ils y sont nés ou y ont grandi, parce qu’ils ont étudié au SLAC, à LUCA Lemmens ou à la KU Leuven (en musicologie), ou encore parce qu’ils jouent dans un ensemble de musique de chambre avec d’autres jeunes louvanistes. CIRKLABO est né quant à lui de la vitalité de la scène circassienne locale : école de cirque, festival et artistes professionnels.

C’est une méthode de programmation lente, exigeante et parfois épuisante. Mais c’est la seule façon de faire de votre maison un lieu pour ceux qui, aujourd’hui encore, n’y viennent pas.
-- An-Marie Lambrechts
--- Coordinateur général, 30CC

Accélérateurs de particules culturels‍

Pour concrétiser cette vision, 30CC a confié à certains programmateurs un rôle bien précis : celui d’« accélérateurs de particules culturels ». Leur mission : aller activement à la rencontre de groupes qui n’ont pas encore trouvé le chemin vers la maison culturelle. L’un se concentre sur les jeunes, l’autre sur des publics à dimension sociale. Avec un budget et un mandat clairs, ils peuvent expérimenter, créer des liens et développer de nouveaux projets.

Aujourd’hui, l’organisation est en bonne voie pour atteindre son objectif : réaliser 30 % de la programmation de cette manière. Cela demande beaucoup de coopération, de logistique et de personnalisation, mais le résultat est rare dans le service public traditionnel : un public qui se sent impliqué dès le premier jour.

La puissance du troisième espace‍

À côté de cette manière de programmer, un autre concept occupe une place centrale dans la vision de 30CC : le troisième espace. Comme l’explique Lambrechts : « Ce n’est pas votre maison, ce n’est pas votre travail, mais un lieu tiers où vous pouvez simplement être, sans obligation de consommer. »

Cela peut être une place, un parc, une bibliothèque ou même un endroit inattendu comme une laverie. Des espaces qui invitent à la rencontre, où l’on se sent à l’aise et libre de s’approprier le lieu. Les maisons culturelles assument de plus en plus ce rôle : au-delà de leur fonction artistique, elles deviennent aussi des lieux sociaux accessibles. Ces espaces favorisent parfois des rencontres fortuites avec la culture — et ouvrent ainsi la porte à une première expérience, un spectacle ou un concert.

Pour 30CC, les troisièmes lieux ne sont pas une réflexion après coup : ils sont intégrés dès le départ. C’est le cas de l’Olévodroom, une arène temporaire installée sur le futur site des arts de la scène, Brusselsestraat. Les jeunes y viennent spontanément pour faire du skate ou se détendre, et 30CC y organise également ses propres activités. À l’étranger, Lambrechts s’inspire de lieux comme CENT QUARANTE-DEUX, où grands espaces et haute culture se combinent avec succès.

La future salle de Louvain sera elle aussi pensée comme un lieu hybride : « Un espace public qui est en même temps un lieu culturel et un lieu de rencontre. Où vous pouvez assister à un grand concert tout en croisant d’autres parents pendant que vos enfants font leurs devoirs. »

La rencontre comme stratégie de public‍

L’idée de rencontre traverse toute la démarche de 30CC. Parfois informelle, parfois facilitée, elle est au cœur de la stratégie. Un bon exemple est la collaboration avec Shift, une maison de jeunesse numérique qui donne accès à la technologie et aux médias à des jeunes vulnérables.

« On les voit souvent expérimenter avec des lunettes de réalité virtuelle dans le couloir. Parfois on ne sait même pas exactement ce qu’ils font, mais ils sont là, créatifs, dans notre bâtiment. »

Ces moments fortuits deviennent des occasions d’échange avec des artistes. Et c’est ainsi que l’on touche des personnes qui, autrement, n’auraient jamais franchi la porte d’une maison culturelle. Là réside la clé de l’innovation : abaisser le seuil en reliant la culture à ce qui préoccupe déjà les gens, puis les ouvrir à de nouvelles expériences.

Le long souffle

Chez 30CC, personne ne prétend que c’est facile. Cela exige du temps, de la patience et un ajustement permanent. Toutes les expériences ne sont pas des réussites. « Parfois, ça dérape ou les gens perdent simplement l’intérêt », reconnaît Lambrechts. Mais cela fait partie du processus. L’alternative — rester sur une offre qui ne séduit que le public déjà acquis — mène inévitablement à une diminution et un vieillissement de l’audience.

Le succès de ce lancement record montre que deux stratégies peuvent coexister et se renforcer : la vente classique et la nouvelle approche relationnelle. Les fidèles passionnés de culture ont répondu présents en achetant des billets en masse. En parallèle, petit à petit, s’élargit le cercle des visiteurs attirés par les rencontres, les projets et les collaborations.

Leçons pour le secteur‍

Quelles pistes les autres maisons culturelles peuvent-elles en tirer ?

La méthode de 30CC montre que la culture ne se crée pas seulement sur scène, mais aussi dans la manière de rassembler les gens. Pour rester pertinent dans une société en mutation rapide, il faut s’ouvrir à de nouvelles formes de rencontre et d’imagination — même pour ceux qui ne franchissent pas encore la porte. Comme le dit Lambrechts : « Sinon, vous construisez des temples du passé, pas de l’avenir. »